02/05/2025

DANIEL LARA
Le gouvernement d’Espagne affirme que la panne électrique totale a excédé la capacité des pare-feux

Daniel Lara, InfoLibre, 30/4/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala


Daniel Lara (Móstoles, Madrid, 1997) est journaliste en charge de l’environnement et de l’énergie au site ouèbe espagnol Info Libre. X


 

Au moment du black-out, il y avait une capacité de perdre, sans préavis, l’équivalent de 60% de l’énergie du pays

La déconnexion en chaîne de dizaines de centrales électriques à travers le pays a eu raison des pare-feux et a mis le réseau hors service



Le ministère de la Transition écologique (MTÉ) a déclaré mercredi que les pare-feux censés empêcher une panne sur le réseau « ont fonctionné et ont été activés » normalement, et qu’ils auraient été capables de résister à une forte baisse de la production. Mais l’ampleur de la panne a été si rapide et si importante que les systèmes de protection du réseau n’ont pas pu y faire face. Plus précisément, le système espagnol avait la capacité, lundi, de couvrir une baisse imprévue de la production de 15 gigawatts (GW), soit l’équivalent de 15 réacteurs nucléaires, mais la panne imprévue a été encore plus importante.

Des sources ministérielles de haut niveau expliquent que la capacité de “délestage” du réseau était immense à l’époque, équivalant à 60 % de la demande d’électricité de l’Espagne. La production et la demande d’énergie devant toujours être en parfaite adéquation pour que le système fonctionne, le délestage permet de compenser une baisse surprise de la production - par exemple, le black-out d’une centrale nucléaire, qui se produit plusieurs fois par an - par une réduction de la consommation afin d’équilibrer la balance. Techniquement, il s’agit d’obliger les grandes industries à se déconnecter immédiatement.

Le réseau espagnol a pu dégrouper 10 GW d’électricité à l’approche du black-out, en plus d’arrêter l’exportation de 5 GW d’électricité vers la France, afin de couvrir un effondrement de la production. Tout cela a été activé, selon les techniciens, « mais l’effet de contagion [certaines centrales s’arrêtent et les autres suivent en chaîne] a été plus important et plus rapide », et tout le système s’est effondré. Les sources du ministère reconnaissent qu’elles ne savent toujours pas quelle était l’ampleur du trou de production, mais seulement qu’il était supérieur à 15 GW. Ils ne connaissent pas non plus l’emplacement exact, mais ils savent qu’il se situe dans le sud-ouest.

Tout cela s’est produit pendant les fameuses cinq secondes de l’incident. Comme Red Eléctrica l’a expliqué précédemment, tout allait bien jusqu’à ce qu’à 12 heures, 33 minutes et 16 secondes, une oscillation de la fréquence du réseau se produise, causée par ce qui semble être une baisse de production. Lorsqu’une grande centrale électrique est déconnectée du réseau de manière inattendue, ce décalage entre l’offre et la demande d’énergie provoque une variation de fréquence qui est rapidement corrigée et, si elle est faible, n’a pas de conséquences. Cet incident a été surmonté normalement.

Mais 1,5 seconde plus tard, un autre événement similaire s’est produit, avec une variation de fréquence beaucoup plus importante, qui a provoqué un arrêt de la production d’électricité dans le sud-ouest de la péninsule, probablement à partir de centrales solaires en Estrémadure. La fréquence du réseau électrique européen est de 50 Hz, mais en cas d’écart important, les centrales électriques sont automatiquement mises hors service pour des raisons de sécurité, conformément aux règles de l’opérateur, Red Eléctrica. D’après ce que l’on sait de ces moments, ce black-out localisé a “généré un effet de chaîne” qui a entraîné l’arrêt du reste des centrales électriques. Au même moment, la France s’est déconnectée de l’Espagne pour ne pas contaminer l’Europe.

Selon le MTÉ, la question qui se pose aujourd’hui est de savoir ce qui a provoqué ces fortes oscillations de fréquence. Pour cela, ils doivent encore analyser des tonnes de données, milliseconde par milliseconde, qu’ils recevront de Red Eléctrica et des grandes entreprises dans les prochaines heures.

La possibilité qu’une cyberattaque en soit à l’origine n’a pas encore été exclue par le gouvernement, et des experts en cybersécurité du ministère de la Défense enquêtent actuellement au siège de Red Eléctrica et d’autres entreprises pour trouver une réponse. Cette faille aurait pu donner l’ordre à un grand nombre de centrales électriques de s’arrêter, déclenchant ainsi un black-out en chaîne.

José Luis Domínguez, expert en réseaux électriques à l’Institut de recherche énergétique de Catalogne (IREC), exclut toutefois ce scénario. « Je le considère comme irréalisable, car il faudrait une connaissance approfondie du réseau pour déconnecter autant de centrales en même temps ». Il rappelle que la Russie, pour fermer une seule centrale électrique en Ukraine en 2022, a piraté son système et a mis deux mois à comprendre comment elle pouvait la mettre hors service. 

Les énergies renouvelables ne sont pas à la traîne

Les fonctionnaires du MTÉ ont également affirmé qu’un excès d’énergies renouvelables n’était pas à l’origine de la panne, même s’ils ont reconnu que des changements réglementaires devront désormais être envisagés pour rendre cette énergie plus sûre. Peut-être en installant des systèmes d’inertie synthétique, une sorte de tampon pour réguler la fréquence du réseau, dans les centrales solaires et éoliennes d’Espagne.

Depuis la panne, on a beaucoup parlé de l’instabilité que les énergies renouvelables apportent au système électrique, une question qui est débattue par les experts et les gestionnaires de réseau depuis des années. La production d’énergie traditionnelle (nucléaire, cycle combiné au gaz, hydroélectricité, géothermie...) utilise des moteurs rotatifs qui confèrent au système une inertie qui aide à réguler les petits déséquilibres entre l’offre et la demande. Ces technologies sont dites synchrones et leurs moteurs tournent tous à la même vitesse, soit 50 rotations par seconde, ou 50 Hertz (Hz).

Si l’on considère le système électrique comme une baignoire, le robinet (production) et le drain (consommation) doivent transporter la même eau pour que le niveau de la baignoire reste stable. Ce niveau est la fréquence du réseau, qui ne peut varier afin d’éviter les dysfonctionnements. Si le robinet de la baignoire réduit sa pression, mais que le bouchon reste ouvert, le niveau de l’eau baisse. C’est ce qui s’est passé lundi sur le réseau électrique espagnol : la production a baissé, mais pas la demande, ce qui a fait chuter la fréquence et déclenché les protections de toutes les centrales.

À ce système, il faut ajouter un facteur supplémentaire : les moteurs rotatifs, comme ceux des centrales à cycle combiné. Si la fréquence du réseau baisse - les moteurs de ces centrales tournent plus lentement que 50 tours par seconde - leurs turbines libèrent l’énergie cinétique sous forme d’énergie électrique et l’injectent dans le système, compensant ainsi la perte d’approvisionnement et augmentant à nouveau la fréquence. Plus le poids de la production synchrone dans le mix électrique est important, plus la fréquence du réseau a du mal à baisser, et donc plus il a du mal à s’effondrer car il est autorégulé.

Le problème est que les centrales photovoltaïques n’ont pas de moteur rotatif et ne peuvent pas arrêter une baisse ou une hausse de la fréquence du réseau. Les éoliennes ont une rotation, mais elles ne sont pas connectées à la synchronisation du système. Au moment de la panne de lundi, ces deux technologies représentaient plus de 60 % du mix électrique et certains experts estiment que s’il y avait eu plus de sources synchrones, la puissance zéro aurait pu être évitée car les pics de fréquence auraient été mieux contrôlés.

Interrogés à ce sujet, les techniciens du ministère ont souligné qu’un jour sur sept de l’année, le mix de production en Espagne est similaire à celui de ce lundi et que cela ne s’était jamais produit auparavant, de sorte qu’il n’est pas logique de blâmer ces technologies. En fait, ils ont souligné que cet incident ne modifie pas le plan national pour l’énergie et le climat (PNIEC), la feuille de route pour l’installation d’énergies renouvelables d’ici à 2030. Cependant, ils estiment que des modifications réglementaires devront être proposées à l’avenir. Il existe différents systèmes sur le marché pour ajouter de la synchronisation au photovoltaïque et au solaire au moyen de batteries ou de logiciels, mais ils ne sont pas encore obligatoires en Espagne.

En fait, la seule technologie qui a posé problème est le nucléaire, qui a été arrêté pour des raisons de sécurité pendant la période d’absence d’énergie et qui n’a pas réussi à se remettre en marche avant mercredi. Les responsables ont souligné que non seulement cette technologie n’a pas fourni d’électricité lors du retour à la normale, mais qu’elle a également eu besoin d’une puissance supplémentaire pendant la panne pour éviter que le cœur des cinq centrales ne soit endommagé.

Ils ont également ajouté qu’une meilleure interconnexion avec la France aurait apporté de la « robustesse » au système avant la panne et constituera une autre tâche urgente. À l’heure actuelle, la France retarde l’extension de ce câble depuis deux décennies, car elle vise à devenir la centrale nucléaire de l’Europe et l’Espagne est un concurrent de par son abondante énergie renouvelable.





AHMED HELOU
He perdido a 160 miembros de mi familia en Gaza, pero no he perdido la esperanza
Palabras de un combatiente palestino por la paz

A los quince años, me uní a Hamas, lancé piedras, cosí banderas palestinas y pasé siete meses en prisión. Aquí está lo que cambió mi perspectiva sobre los israelíes y me motiva a construir puentes sobre ríos de sangre.

Ahmed Helou, Haaretz , 29/4/2025
Traducido por Fausto GiudiceTlaxcala

Ahmed Helou, palestino de El Ariha/Jericó, es un activista dela organización Combatientes por la Paz, que celebró la vigésima ceremonia anual conjunta de conmemoración israelí-palestina el 29 de abril, en asociación con el Círculo de Padres – Foro de Familias (palestinas e israelíes afectadas por la violencia).

 

Palestinos inspeccionan el lugar de un ataque israelí a una casa, en Jan Yunis en el sur de la Franja de Gaza. Foto: Hatem Khaled / Reuters

Escribo estas palabras desde el dolor más profundo que un ser humano puede soportar. En el último año, he perdido 160 miembros de mi familia extendida: hombres, mujeres y niños. Todos ellos eran civiles. Todos estaban desarmados. Fueron asesinados en ataques aéreos y tiroteos durante la guerra en Gaza. En cuestión de minutos, generaciones enteras de la familia Helou fueron borradas: tías, tíos, primos, sobrinas y sobrinos, todos asesinados en sus hogares.


Sus cuerpos fueron encontrados entre los escombros, a veces todavía sosteniéndose entre ellos, a veces esparcidos. Algunos no fueron identificados durante días. Nuestra familia, una vez unida alrededor de una mesa en las festividades, se ha convertido en una lista de nombres entre los muertos. 160 miembros de la familia. 160 vidas. 160 futuros que nunca existirán.

Mi dolor no tiene fondo. A veces se siente tan difícil como simplemente respirar. Pero incluso desde ese lugar, el lugar donde todo parece perdido, elijo levantarme y decir: no debemos rendirnos. No debemos sucumbir al odio, a la pérdida, a la venganza. Ahora más que nunca, llamo a ambos pueblos, israelí y palestino, a elegir un camino diferente. Un camino no de sangre, sino de vida. No de venganza, sino de esperanza.

Soy un palestino de Jericó. Aunque nací allí, mis raíces se hunden profundamente en Gaza y Beersheba . Mis abuelos nacieron en Gaza y se mudaron a Beersheba a principios del siglo XX para hacer crecer sus negocios. Mis padres también nacieron y crecieron en Beersheba . Durante la guerra de 1948, intentaron regresar a Gaza, pero en cambio huyeron a Jericó, esperando que su proximidad a la frontera jordana les proporcionara una ruta de escape si las cosas empeoraban. En 1967, tuvieron que huir de nuevo, esta vez a Jordania, donde fueron testigos de más violencia y más muerte.

Crecí escuchando estas historias de miedo, de huida, de personas asesinadas ante sus ojos. Estaba lleno de ira. Quería venganza. A los diez años, durante la guerra de Israel en 1982 en Líbano, arrastraba neumáticos a la calle para las manifestaciones. Creía que tenía que luchar. A los quince años, me uní al movimiento local de Hamas. Lanzaba piedras. Cosía banderas palestinas, que eran ilegales en ese momento, sabiendo que eso podría llevarme a la prisión. Y así fue. En 1992, fui condenado a siete meses en prisión militar israelí como detenido político.

Pero la prisión también trajo algo más: un encuentro inesperado con personas que tenían diferentes visiones del futuro. Durante mi condena, comenzó el proceso de paz de Oslo. Cuando mis padres me visitaron, me hablaron de un nuevo acuerdo de paz con Israel, sobre dos estados, y que ahora era legal ondear la bandera palestina. Plantó una pequeña semilla de algo que no me había permitido considerar: una posibilidad.

Después de mi liberación, me centré en reconstruir mi comunidad. Ayudé a lanzar un grupo juvenil en Jericó. Hice trabajo voluntario en escuelas, hospitales y hogares de ancianos. Tomé un curso de primeros auxilios y me convertí en voluntario de ambulancia con la Media Luna Roja Palestina.


El humo se eleva desde Gaza tras un ataque aéreo, visto desde el lado israelí de la frontera. Foto Amir Cohen / Reuters

Durante los enfrentamientos en Jerusalén Este en 1996, proporcioné asistencia médica a palestinos heridos. Un día, corrí a ayudar a un hombre inconsciente y descubrí que era mi amigo cercano Firas. Mientras lo llevaba hacia la ambulancia, fui disparado en la espalda por un soldado israelí. Me colapsé. En el camino al hospital, escuché al médico decirle al paramédico que dejara de resucitar al otro herido en la ambulancia, mi amigo. Él había muerto.

Cuando regresé a Jericó, pregunté por Firas. Mi hermano me llevó al cementerio. Había cuatro tumbas: una para Firas, un estudiante de derecho de 21 años; una para un chico de 17 años; una para un oficial de policía palestino. Pregunté sobre la cuarta tumba. “Esa era para ti”, dijo mi hermano. “Pensamos que ibas a morir”. Sobreviví, pero la bala aún está alojada cerca de mi columna vertebral hoy.

Años después, en 2004, un amigo me invitó a un taller con israelíes. Estaba furioso. “¿Cómo pueden pedirme que me reúna con el enemigo?” grité. “¿Con aquellos que mataron a mi gente, robaron mi tierra, me convirtieron en refugiado, me encarcelaron?” Fui, pero juré que no hablaría. El primer día, permanecí en silencio. El segundo, empecé a hablar. En el tercero, compartí un café con ellos. Para el cuarto, estaba preguntando con incredulidad: “¿Realmente son judíos? ¿Realmente son israelíes?” Hasta entonces, solo había conocido a judíos como soldados. Nunca había hablado con civiles y nunca había discutido derechos, futuros o paz.

Seguí asistiendo a talleres, eventualmente viajando a Alemania para un seminario con israelíes y palestinos. En 2006, fui invitado a conocer a Combatientes por la Paz en Jericó. No estaba listo. Pero seguí aprendiendo, seguí preguntando, seguí conociendo. En 2013, me pidieron que hablara en la ceremonia conjunta del Día de Recuerdo. Acepté. Desde entonces, he sido un miembro comprometido, involucrado en la resistencia no violenta y la protesta pacífica contra la ocupación.


Palestinos desplazados por la ofensiva aérea y terrestre israelí sobre la Franja de Gaza caminan por un campamento improvisado de tiendas de campaña en la ciudad de Gaza. Foto Jehad Alshrafi, AP

Para cuando cumplí treinta años, me casé con Hiba, quien también es originaria de Gaza. Durante muchos años, no hemos podido visitar a su familia. Durante más de ocho años antes de que comenzara la guerra, nuestros cuatro hijos no obtuvieron permisos para visitar a sus abuelos en Gaza. Y desde el 7 de octubre, hemos perdido a más de 160 parientes en Gaza. Pero sé que la cooperación internacional y la no violencia son las únicas maneras de poner fin a la ocupación y lograr la paz.

Debido a todo lo que he vivido, sé: los extremistas de ambos lados quieren que odiemos, que temamos, que perdamos la esperanza. Quieren que creamos que no hay alternativa a la guerra, que un pueblo solo puede sobrevivir destruyendo al otro. Me niego a aceptar eso. Me niego a dejar que esta narrativa gane.

La paz no es debilidad. Es la fuerza para elegir el camino más difícil, para escuchar el dolor del otro, para reconocer su sufrimiento y construir puentes sobre ríos de sangre. Es el coraje de enfrentarse a aquellos que se benefician de la guerra interminable y decir: ¡basta ya!

En Israel, a menudo escucho: “No hay socio para la paz”. Pero eso no es cierto. Estamos aquí: palestinos que creemos en la igualdad, la coexistencia y la justicia para ambos pueblos. Somos pocos, pero estamos determinados. Determinados a vivir, no a morir. A construir, no a destruir. Incluso después de haberlo perdido todo.

Elijo dedicar mi vida a la paz y a una lucha no violenta contra la injusticia, la ocupación y el extremismo, tanto el nuestro como el suyo. Este es el único camino que queda: un futuro compartido, construido sobre el reconocimiento mutuo y la creencia de que la paz todavía es posible.

He perdido a mis seres queridos, pero no mi esperanza. La paz no es un eslogan. Es la única manera de vivir.





01/05/2025

USA : pourquoi les militants propalestiniens sont envoyés dans une prison sous-traitante de l’ICE* au fin fond de la Louisiane

*NdT : ICE (United States Immigration and Customs Enforcement) est l’agence fédérale de l’immigration et des frontières, créée en 2002 dans le cadre du Homeland Security Act instituant le Département de la Sécurité intérieure, qui en 2024, employait 258 000 personnes avec un budget de 103 milliards de $. ICE a sous-traité la majorité de ses centres de détention pour étrangers en voie d'expulsion à des entreprises privées.

Mahmoud Khalil, Rümeysa Öztürk et Alireza Doroudi sont tous détenus par l’ICE à Jena, en Louisiane. Jena représente le point nodal de la suprématie blanche, de l’exploitation des prisons et de la répression étatique. Mais son histoire nous montre aussi la voie de la résistance.

Stephanie Guilloud et Desiree S. EvansMondoweiss, 28/4/2025

Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala


Stephanie Guilloud est responsable de la stratégie d’organisation des mouvements au sein du Project South: Institute for the Elimination of Poverty and Genocide, basé à Atlanta, en Géorgie. Elle apporte près de trois décennies d’expérience en matière d’organisation et de leadership dans le mouvement du Sud et le travail pour la justice mondiale. Elle a co-créé le site Organizers’ History lié à son action directe en 1999 pour fermer l’Organisation mondiale du commerce, et a édité le People’s Movement Assembly Organizing Handbook (Manuel d’organisation de l’assemblée du mouvement populaire) de Project South.

Desiree S. Evans est coordinatrice de la communication au sein du Project South. Vivant en Louisiane, Desiree a 25 ans d’expérience dans l’organisation de la justice sociale et le travail de plaidoyer, ainsi que dans les relations avec les médias et la communication.


«Je m’appelle Mahmoud Khalil et je suis un prisonnier politique. Je vous écris depuis un centre de détention en Louisiane où je me réveille par des matins froids et où je passe de longues journées à témoigner des injustices silencieuses commises à l’encontre d’un grand nombre de personnes exclues de la protection de la loi ».

Ces dernières semaines, les étudiants Mahmoud Khalil, Rümeysa Öztürk et Alireza Doroudi ont été enlevés par l’ICE et détenus dans des centres de détention de l’ICE dans les zones rurales de la Louisiane. La puissante déclaration de Khalil relie de multiples réalités qui démontrent comment la répression étatique est activée pour soutenir la montée de l’autoritarisme.


Le fait que Khalil et d’autres soient envoyés dans des centres de détention situés dans des villes isolées de Louisiane n’est pas un hasard. La montée de l’autoritarisme nécessite un État policier, et l’expansion des prisons, de la police et des centres de détention est extrêmement rentable. Alors que le gouvernement usaméricain actuel fait disparaître des personnes vers un camp de prisonniers brutal au Salvador, il déplace également des personnes vers la Louisiane rurale pour tenter de faire disparaître des personnes à l’intérieur des frontières des USA.

L’histoire du Sud en matière d’esclavage, d’incarcération, de contrôle social par la suprématie blanche et la résistance constante de la population font partie d’un plan qui peut nous aider à comprendre ce qui se passe, pourquoi, qui en bénéficie et comment riposter.


L’importance de la Louisiane : isolement, stratégie juridique et profit

Pour comprendre pourquoi l’emplacement de ces centres de détention est important, nous devons comprendre le système carcéral usaméricain, ancré dans le contrôle racial, l’exploitation économique et l’effacement géographique.

Khalil et Doroudi sont tous deux détenus au Central Louisiana ICE Processing Center à Jena. Öztürk est détenue au South Louisiana ICE Processing Center à Basile. Les deux centres de détention sont situés dans des villes rurales éloignées, à majorité blanche, comptant moins de quelques milliers d’habitants. Ces lieux présentent des défis importants pour ces détenus, car les centres sont éloignés des grandes villes, ainsi que de nombreux avocats et organisations de défense des droits humains.

Cet isolement est délibéré et stratégique, plaçant les détenus à des milliers de kilomètres de leurs réseaux de soutien et limitant considérablement l’accès à un avocat, ce qui rend beaucoup plus difficile la mise en place d’une défense efficace. Ces sites sont également moins surveillés par le public, car les médias et les organisations de défense des droits humains n’ont qu’un accès limité pour surveiller les conditions et rendre compte de ce qui se passe à l’intérieur. Avec moins de possibilités de visites familiales, les détenus sont de plus en plus coupés du monde extérieur, isolés à la fois émotionnellement et physiquement. La détention en milieu rural devient une autre méthode de « disparition » des personnes.

Ces dernières années, la Louisiane est devenue l’un des principaux centres de détention d’immigrants du pays, se classant juste derrière le Texas pour le nombre de personnes détenues. La Louisiane détient actuellement environ 7 000 immigrants en détention civile. La Louisiane, ainsi que ses voisins, le Texas et le Mississippi, abritent 14 des 20 plus grands centres de détention de l’ICE du pays, et disposent également de tribunaux extrêmement conservateurs.

Les administrations répressives apprécient la Cour du 5e circuit de Louisiane, bien connue pour son conservatisme, et peuvent souvent obtenir les résultats qu’elles souhaitent plus facilement que dans d’autres États. C’est un juge fédéral de Louisiane qui a décidé que Khalil pouvait être expulsé parce qu’il représentait un risque pour la sécurité nationale en raison de ses convictions et de ses manifestations en faveur de la Palestine. Un juge de l’immigration de Jena a récemment refusé la caution à Doroudi. En revanche, le juge fédéral de New York a estimé que la détention de Yunseo Chung était illégale.

Les centres de détention fonctionnent comme des outils de punition à part entière. Au fil des ans, plusieurs centres situés dans la région rurale de la Louisiane ont fait l’objet de graves critiques pour violation des droits humains.

Öztürk a déclaré avoir été confrontée à des conditions « insalubres, dangereuses et inhumaines » dans le centre de Basile, où elle a lutté pour obtenir des soins médicaux adéquats. Les enquêteurs ont documenté les abus commis dans ce centre, notamment le fait que les détenus se voient refuser des soins médicaux, qu’ils reçoivent des produits d’hygiène féminine inadéquats et qu’on leur serve de la nourriture avariée.

Ces centres font plus que faire disparaître, contenir et punir. Hier comme aujourd’hui, la mégaentreprise de prisons privées GEO Group possède et gère le Central Louisiana ICE Processing Center à Jena (ainsi que le South Louisiana ICE Processing Center à Basile), en tant que centres de détention à but lucratif. Anciennement connu sous le nom de Wackenhut Corrections Corporation, tristement célèbre dans les années 1990 en tant qu’acteur majeur de l’essor des prisons privatisées à but lucratif, GEO Group a racheté Wackenhut en 2002. GEO Group, l’une des plus grandes sociétés pénitentiaires privées au monde, détient actuellement près d’un milliard de dollars de contrats gouvernementaux pluriannuels pour des prisons, des centres de détention, des transports et de la surveillance.

Cible elle-même, comme Israël, de stratégies de désinvestissement pour protester contre la violence systématique, la torture, le travail forcé et les abus, GEO Group risque de gagner des milliards supplémentaires en contrats fédéraux alors que l’administration Trump criminalise et rafle les immigrés, les Noirs, les musulmans et les étudiants.

Envoyés dans le Sud : du port d’esclaves à la capitale pénitentiaire

La Louisiane était un site clé dans le commerce intérieur des esclaves, la Nouvelle-Orléans étant le deuxième port négrier et le plus grand marché aux esclaves du pays, où les personnes asservies étaient achetées, vendues et transportées dans tout le Sud des USA. 

Pendant l’esclavage, les esclavagistes utilisaient souvent une expression pour menacer les esclaves : être « vendus le long de la rivière ». Cela signifiait être vendu plus au sud, le long du Mississippi, dans les plantations du Sud profond, comme les tristement célèbres champs de canne à sucre de Louisiane. Pour les esclaves, cette phrase avait le poids d’une condamnation à mort, symbolisant la séparation d’avec la famille et une souffrance quasi certaine. Être condamné plus au « Sud » était un outil d’isolement, de punition et de peur, une pièce maîtresse du contrôle exercé à l’époque de l’esclavage.

Dans les années qui ont suivi l’émancipation, cette exploitation a évolué au lieu de disparaître, jetant les bases du rôle central de l’État dans l’essor de l’incarcération de masse. De l’affermage des condamnés et du travail pénal à l’époque de Jim Crow au complexe industriel carcéral moderne, la Louisiane a longtemps profité des systèmes qui criminalisent et réifient les corps noirs. En fait, la Louisiane a accueilli la première prison privatisée du pays en 1844, un établissement qui a par la suite fait appel à une main-d’œuvre anciennement esclave à des fins lucratives.

Photographie de 1934 de prisonniers dAngola, prise par le folkloriste Alan Lomax, avec au premier plan le chanteur de blues Huddie « Lead Belly » Ledbetter, emprisonné pour tentative d'homicide, libéré plus tard dans l'année 

L’héritage de l’époque esclavagiste est peut-être incarné de la manière la plus frappante aujourd’hui par le tristement célèbre pénitencier de l’État de Louisiane, mieux connu sous le nom d’« Angola », qui est la plus grande prison de haute sécurité des USA. Il est situé sur le site isolé d’une ancienne plantation d’esclaves, d’une superficie de 18 000 acres [7 284 ha], et continue d’exploiter sa ferme en recourant à la main-d’œuvre carcérale. Des hommes incarcérés, noirs pour la plupart, travaillent la terre pour récolter entre autres du coton, souvent pour quelques centimes de l’heure, dans des conditions difficiles, chaudes et inhumaines, sous la surveillance de gardiens de prison armés et à cheval. C’est une image sinistre, qui s’est reflétée à la frontière du Texas en 2021, lorsque des agents de la patrouille frontalière usaméricaine se sont déplacés à cheval avec des fouets pour poursuivre et capturer des immigrés haïtiens.


Les groupes de pression qui prônent une réforme de la justice pénale ont joué un rôle clé dans la réduction de la population carcérale en Louisiane ces dernières années. Mais aujourd’hui, la détention des immigrants menace de remplacer ces chiffres en baisse, en particulier dans les zones rurales.

L’augmentation de la détention d’immigrants en Louisiane est parallèle à l’utilisation historique des prisons rurales du Sud et des camps de travail pour faire disparaître les personnes marginalisées de la vue du public. Les installations de l’ICE en Louisiane participent à une forme moderne de contrôle racial en détenant des immigrants et des dissidents politiques : ces installations sont transformées en sites où des corps volés sont enfermés à des fins de profit et de punition - loin des yeux, loin du cœur.

Ces centres de détention de Louisiane perpétuent la logique de l’esclavage usaméricain : des corps noirs et bruns, enfermés et exploités dans des communes rurales à des fins lucratives. Les architectes de la politique d’immigration des USA ont commencé à moderniser ce que la Louisiane a perfectionné pendant des siècles : le contrôle par la punition, le profit par l’emprisonnement et le silence par l’isolement.

Ce n’est pas une coïncidence si tant d’organisateurs propalestiniens ont été envoyés en Louisiane. Mais il y a un autre aspect de l’histoire du Sud qui pourrait guider notre réponse. La résistance fonctionne.

L’importance de Jena : un nœud de répression et de résistance

Lorsque nous parlons de la montée du fascisme aux USA et dans le monde, nous nous souvenons que le Sud des USA a conçu le schéma directeur d’une grande partie du fascisme européen et de l’apartheid sud-africain sous la forme de l’esclavage et de Jim Crow. Les systèmes imbriqués de suprématie blanche existent toujours dans le domaine social, dans les écoles, au sein de la police et dans les tribunaux. L’affaire des « 6 de Jena » montre que tous ces systèmes protègent le racisme blanc et tentent de contenir l’indignation des Noirs.

Avant d’être récemment sous les feux de la rampe, la petite ville de Jena, en Louisiane, était surtout connue pour l’affaire des 6 de Jena. En 2006, après que des nœuds coulants ont été accrochés à l’« arbre blanc » du lycée de Jena, six étudiants noirs ont été arrêtés et inculpés de tentative de meurtre pour avoir prétendument battu un jeune Blanc dans un contexte d’escalade des tensions raciales. Le jury était entièrement blanc et Mychal Bell, âgé de 17 ans, a été jugé comme un adulte et reconnu coupable. L’affaire est devenue un point chaud, car le jugement a suscité l’indignation nationale face à l’injustice raciale affichée. Vingt mille personnes se sont rassemblées dans la petite ville de Louisiane le jour de la condamnation de Mychal Bell pour protester contre le procès.


Jena, 20 septembre 2007

Les tensions raciales et les violences liées aux « 6 de Jena » ont commencé juste un an après que l’ouragan Katrina a mis en lumière les réalités du racisme, des décennies après les avancées du mouvement des droits civiques. « Katrina a fait prendre conscience aux Noirs qu’ils étaient des citoyens de seconde zone dans ce pays. Il a mis en lumière les souffrances endurées par les Noirs. Lorsque leurs abris et leurs moyens de subsistance leur ont été enlevés, ils ont été traités de pilleurs et laissés à l’abandon », a déclaré Assata Richards, de l’université de Pittsburgh, à propos de la montée des tensions à Jena à l’époque.

L’affaire des 6 de Jena montre également le pouvoir de la protestation, de l’organisation et de la construction d’un mouvement. Plus de 20 000 personnes sont descendues à Iéna en septembre 2007. Plus de 100 campus à travers le pays ont organisé des manifestations et des débrayages. Ces manifestations massives menées par des jeunes Noirs étaient le signe avant-coureur des manifestations « Black Lives Matter » et des soulèvements en faveur de la justice raciale à venir.

Bien qu’ils aient été accusés de tentative de meurtre et que Bell ait été jugé en tant qu’adulte, les charges retenues contre lui ont finalement été annulées et les autres adolescents noirs n’ont été condamnés qu’à une simple amende. Lorsque nous nous organisons et refusons de permettre aux systèmes répressifs d’isoler et de faire disparaître notre peuple, nous pouvons gagner.

Jena, en Louisiane, et l’industrie pénitentiaire privatisée qui enferme les militants propalestiniens représentent un ensemble de systèmes qui renforcent la suprématie blanche, la rentabilité des prisons et la répression anti-contestation. Ils reflètent un héritage continu de ciblage des personnes marginalisées, en particulier des corps noirs et bruns, à des fins de punition et de contrôle.

Jena témoigne de la réalité multiforme de la répression étatique raciste et de la violence sociale, mais elle peut aussi rappeler le pouvoir de l’organisation pour mettre fin à l’injustice.

Pourquoi nous devons être attentifs

La disparition et les détentions d’organisateurs propalestiniens sont une punition directe pour les puissants campements de jeunes du printemps 2024. Si nous continuons à montrer notre puissance pendant cette période, nous serons confrontés à davantage de répression. Plus de 40 projets de loi anti-manifestations ont été introduits en 2025 à travers les USA. Ces lois viendraient s’ajouter aux lois existantes visant les manifestations, les organisations à but non lucratif, l’entraide et les fonds de cautionnement.

À mesure que les mouvements se développent, la répression de l’État s’intensifie. Et les entreprises privées sont prêtes à en profiter. Le cours de l’action de GEO Group a doublé après les élections de novembre.


Cours des actions GEO GROUP au 1er mai 2025

Le complexe industriel carcéral est une cible majeure contre laquelle nous pouvons nous organiser pour le démanteler. L’omniprésence de l’État policier et des systèmes pénitentiaires élargit la base des personnes qui sont affectées et qui peuvent être organisées pour résister. Des centres de détention de l’ICE à la surveillance de nos quartiers, presque toutes les communautés sont concernées. Les lycéens et les collégiens doivent faire face à une présence policière accrue. La criminalisation de la dissidence est en train d’être codifiée à tous les niveaux de la législation locale, étatique et fédérale.

Les manifestations du mouvement en 2007 ont changé l’issue de l’affaire des 6 de Jena et ont fait progresser la justice raciale. Nous ne pouvons pas rester silencieux aujourd’hui alors que des personnes sont isolées, confinées et expulsées. Nous devons être courageux, et nous devons le faire collectivement.

Les nouvelles quotidiennes sur les disparitions, les détentions et la criminalisation accrue de l’activité des mouvements peuvent être décourageantes. Il est essentiel de comprendre les liens actuels et historiques, et nos stratégies sont plus solides lorsqu’elles s’appuient sur une analyse claire de ce qui se passe, de ceux qui en bénéficient et des forces qui sont affectées et en mouvement. En ce moment de danger à plusieurs niveaux, notre responsabilité est d’évaluer les liens et les modèles afin d’agir de manière décisive et stratégique.

En tant qu’organisatrices, nous posons les questions suivantes : pourquoi des personnes sont-elles enlevées et envoyées dans des prisons lointaines ? Qui profite matériellement de l’expansion de l’État policier ? Que pouvons-nous apprendre de l’histoire sur la manière dont l’opposition se déplace ? Que pouvons-nous apprendre des mouvements qui, aux USA et dans le monde, ont affronté des États autoritaires ?

En tant qu’organisatrices, nous le savons : La solidarité des mouvements est nécessaire pour prévenir et démanteler les États autoritaires.

En tant qu’organisatrices, nous le savons : La solidarité du mouvement est nécessaire pour prévenir et démanteler l’autoritarisme et le système carcéral qui est nécessaire pour le maintenir en place. Démasquez les formes d’expansion de la police, de la surveillance, des prisons et de la détention dans votre communauté et organisez-vous pour les dénoncer et les éliminer.

Le projet sioniste va bien au-delà de l’État d’Israël et de son génocide à Gaza. Alors que les USA soutiennent et aident le génocide, la violence de l’État augmente pour contenir notre résistance. Dans tout le pays, les étudiants luttent contre une répression accrue et des mesures disciplinaires, et les universités font face à des menaces existentielles sur leur autonomie et leur liberté. Un exemple de la portée du sionisme aux USA est le Georgia International Law Enforcement Exchange (GILEE), un programme d’échange de policiers basé sur un campus universitaire qui forme la police usaméricaine aux tactiques militaires de l’apartheid et développe les technologies de surveillance israéliennes à Atlanta. Mais les étudiants de l’université d’État de Géorgie s’organisent pour mettre fin à ce programme.


Juillet 2022: 16 policiers de Géorgie et du Tennessee suivent un stage de deux semaines en Israël dans le cadre du programme 
GILEE, lancé en 1992



Les jeunes établissent des liens et nous montrent à tous comment être courageux, depuis les lycéens qui ont manifesté pour protester contre le racisme des procès de Jena 6 jusqu’à ceux qui luttent contre Cop City à Atlanta, en passant par les campements de 2024. La solidarité et le soutien à l’organisation des jeunes et des étudiants en ce moment sont essentiels pour que nous soyons tous libres.

Mahmoud Khalil, prisonnier politique dans le contexte actuel de montée du contrôle autoritaire, nous le rappelle : « Les étudiants sont depuis longtemps à l’avant-garde du changement : ils ont mené la charge contre la guerre du Viêt Nam, se sont tenus en première ligne du mouvement pour les droits civiques et ont mené la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud. Aujourd’hui encore, même si le public ne l’a pas encore pleinement compris, ce sont les étudiants qui nous guident vers la vérité et la justice ».

Jena, 15 avril 2025

30/04/2025

AHMED HELOU
J’ai perdu 160 membres de ma famille élargie à Gaza, mais je n’ai pas perdu espoir
Paroles d’un combattant palestinien de la paix

À quinze ans, j’ai rejoint le Hamas, j’ai jeté des pierres, j’ai cousu des drapeaux palestiniens et j’ai passé sept mois en prison. Voici ce qui a changé mon point de vue sur les Israéliens et qui me motive à construire des ponts au-dessus des rivières de sang.

Ahmed Helou, Haaretz , 29/4/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Ahmed Helou, Palestinien d’Ariha/Jéricho, est un militant de  l’organisation Combattants pour la paix, qui vient d’organiser le 29 avril la cérémonie annuelle de la 20ème Journée commémorative conjointe israélo-palestinienne, en partenariat avec le Cercle des parents-Forum des familles (palestiniennes et israéliennes atteintes par la violence).


Des Palestiniens inspectent le site d’une frappe israélienne sur une maison, à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza.

J’écris ces mots dans la douleur la plus profonde qu’un être humain puisse endurer. Au cours de l’année écoulée, j’ai perdu 160 membres de ma famille élargie - hommes, femmes et enfants. Tous étaient des civils. Tous étaient désarmés. Ils ont été tués lors de frappes aériennes et de fusillades pendant la guerre à Gaza. En quelques minutes, des générations entières de la famille Helou ont été anéanties : tantes, oncles, cousins, nièces et neveux, tous tués dans leur maison.

Leurs corps ont été retrouvés dans les décombres, parfois serrés les uns contre les autres, parfois éparpillés. Certains n’ont pas été identifiés avant plusieurs jours. Notre famille, autrefois unie autour d’une table pour les fêtes, est devenue une liste de noms parmi les morts. 160 membres de la famille. 160 vies. 160 avenirs qui ne seront jamais.

Mon chagrin est sans fond. Parfois, j’ai du mal à respirer. Mais même depuis cet endroit - l’endroit où tout semble perdu - je choisis de me lever et de dire : nous ne devons pas abandonner. Nous ne devons pas nous abandonner à la haine, à la perte, à la vengeance. Aujourd’hui plus que jamais, j’appelle les deux peuples, israélien et palestinien, à choisir une autre voie. Un chemin non pas de sang, mais de vie. Non pas celui de la vengeance, mais celui de l’espoir.

Je suis un Palestinien de Jéricho. Bien que je sois né à Jéricho, mes racines sont profondément ancrées à Gaza et à Beersheba . Mes grands-parents sont nés à Gaza et se sont installés à Beersheba  au début du XXe siècle pour développer leur entreprise. Mes parents sont également nés et ont grandi à Beersheba . Pendant la guerre de 1948, ils ont tenté de retourner à Gaza, mais se sont réfugiés à Jéricho, espérant que sa proximité avec la frontière jordanienne leur permettrait de s’échapper si la situation s’aggravait. En 1967, ils ont dû fuir à nouveau, cette fois en Jordanie, où ils ont été témoins de plus de violence et de plus de morts.

J’ai grandi en entendant ces histoires de peur, de fuite, de personnes tuées sous leurs yeux. J’étais rempli de colère. Je voulais me venger. À l’âge de dix ans, pendant la guerre d’Israël au Liban en 1982, je traînais des pneus dans la rue pour les manifestations. Je pensais que je devais me battre. À quinze ans, j’ai rejoint le mouvement local du Hamas. J’ai lancé des pierres. J’ai cousu des drapeaux palestiniens, ce qui était illégal à l’époque, sachant que cela pouvait me conduire en prison. Et c’est ce qui s’est passé. En 1992, j’ai été condamné à sept mois de prison militaire israélienne en tant que détenu politique.

Mais la prison a aussi apporté quelque chose d’autre : une rencontre inattendue avec des personnes qui avaient des visions différentes de l’avenir. Pendant ma peine, le processus de paix d’Oslo a commencé. Lorsque mes parents m’ont rendu visite, ils m’ont parlé d’un nouvel accord de paix avec Israël, de deux États et du fait qu’il était désormais légal d’arborer le drapeau palestinien. Cela a fait germer une petite graine de quelque chose que je ne m’étais pas permis d’envisager : une possibilité.

Après ma libération, je me suis attaché à reconstruire ma communauté. J’ai aidé à lancer un groupe de jeunes à Jéricho. Nous avons fait du bénévolat dans des écoles, des hôpitaux et des maisons de retraite. J’ai suivi un cours de secouriste et je suis devenu ambulancier bénévole pour le Croissant-Rouge palestinien.


De la fumée s’élève de Gaza après une frappe aérienne, vue du côté israélien de la frontière. Photo Amir Cohen / Reuters

Lors des affrontements à Jérusalem-Est en 1996, j’ai apporté une aide médicale aux Palestiniens blessés. Un jour, j’ai couru pour aider un homme inconscient et j’ai découvert qu’il s’agissait de mon ami Firas. Alors que je le portais vers l’ambulance, un soldat israélien m’a tiré dans le dos. Je me suis effondré. Sur le chemin de l’hôpital, j’ai entendu le médecin dire à l’infirmier d’arrêter de réanimer l’autre blessé dans l’ambulance, mon ami. Il était mort.

De retour à Jéricho, j’ai demandé des nouvelles de Firas. Mon frère m’a emmené au cimetière. Il y avait quatre tombes : celle de Firas, un étudiant en droit de 21 ans, celle d’un garçon de 17 ans et celle d’un policier palestinien. J’ai demandé ce qu’il en était de la quatrième tombe. « Celle-ci était pour toi », m’a dit mon frère. « Nous pensions que tu allais mourir ». J’ai survécu, mais la balle est toujours logée près de ma colonne vertébrale.

Des années plus tard, en 2004, un ami m’a invité à un atelier avec des Israéliens. J’étais furieux. « Comment pouvez-vous me demander de rencontrer l’ennemi ? » ai-je crié. « Avec ceux qui ont tué mon peuple, volé ma terre, fait de moi un réfugié, m’ont emprisonné ? » J’y suis allé, mais j’ai juré de ne pas parler. Le premier jour, je suis resté silencieux. Le deuxième, j’ai commencé à parler. Le troisième, j’ai partagé un café avec eux. Au quatrième, je leur demandais avec incrédulité : « Êtes-vous vraiment juifs ? Es-tu vraiment israélien ? » Jusqu’alors, je n’avais rencontré des Juifs qu’en tant que soldats. Je n’avais jamais parlé à des civils et je n’avais jamais abordé la question des droits, de l’avenir ou de la paix.

J’ai continué à participer à des ateliers, puis je me suis rendu en Allemagne pour participer à un séminaire avec des Israéliens et des Palestiniens. En 2006, j’ai été invité à rencontrer les Combattants pour la paix à Jéricho. Je n’étais pas prêt. Mais j’ai continué à apprendre, à demander, à rencontrer. En 2013, on m’a demandé de prendre la parole lors de la cérémonie commune de la Journée commémorative. J’ai accepté. Depuis lors, je suis un membre engagé dans la résistance non violente et la protestation pacifique contre l’occupation.


Des Palestiniens déplacés par l’offensive aérienne et terrestre israélienne sur la bande de Gaza marchent dans un camp de tentes improvisé dans la ville de Gaza. Photo Jehad Alshrafi, AP

À l’âge de trente ans, j’ai épousé Hiba, qui est également originaire de Gaza. Pendant de nombreuses années, nous n’avons pas pu rendre visite à sa famille. Pendant plus de huit ans, avant le début de la guerre, nos quatre enfants n’ont pas obtenu de permis pour rendre visite à leurs grands-parents à Gaza. Depuis le 7 octobre, nous avons perdu plus de 160 membres de notre famille à Gaza. Mais je sais que la coopération internationale et la non-violence sont les seuls moyens de mettre fin à l’occupation et de parvenir à la paix.

Grâce à tout ce que j’ai vécu, je sais que les extrémistes des deux camps veulent que nous haïssions, que nous ayons peur, que nous perdions espoir. Ils veulent nous faire croire qu’il n’y a pas d’alternative à la guerre, qu’un peuple ne peut survivre qu’en détruisant l’autre. Je refuse d’accepter cela. Je refuse de laisser ce récit l’emporter.

La paix n’est pas une faiblesse. C’est la force de choisir le chemin le plus difficile, d’écouter la douleur de l’autre, de reconnaître sa souffrance et de construire des ponts sur des rivières de sang. C’est le courage de s’opposer à ceux qui profitent d’une guerre sans fin et de dire : ça suffit.

En Israël, j’entends souvent dire : « Il n’y a pas de partenaire pour la paix ». Mais ce n’est pas vrai. Nous sommes ici : les Palestiniens qui croient en l’égalité, la coexistence et la justice pour les deux peuples. Nous sommes peu nombreux, mais nous sommes déterminés. Déterminés à vivre, pas à mourir. À construire, et non à détruire. Même après avoir tout perdu.

J’ai choisi de consacrer ma vie à la paix et à la lutte non violente contre l’injustice, l’occupation et l’extrémisme, les nôtres comme les vôtres. C’est la seule voie qui reste : un avenir commun, fondé sur la reconnaissance mutuelle et la conviction que la paix est encore possible.

J’ai perdu mes proches, mais pas mon espoir. La paix n’est pas un slogan. C’est la seule façon de vivre.





29/04/2025

HAYTHAM MANNA
The Julanic Statelet* or the putrid secretions of jihadist totalitarianism

*Our translation of Douila al-Julani in Arabic, literally the micro-state of al-Julani

Haytham Manna, 28/4/2025

دويلة الجولاني: أو الإفرازات الرثة للشمولية الجهادي Original

Translated by Tlaxcala

Haytham Manna (Umm El Mayadhin, Daraa, 1951), physician and anthropologist, is a historic activist for the cause of peoples and human rights. Director of the Scandinavian Institute for Human Rights/Haytham Manna Foundation in Geneva and President of the International Movement for Human and Peoples' Rights (IMHPR), he is the author of some sixty books. Below is an excerpt from his forthcoming book “Manifesto against Jihadi Fascism”.

 

In their essay entitled "The modern nation-state: between Islamism and secularism", Asia Al-Muhtar and Adnan Harawi offer us a clear and concise synthesis of the concept of the modern nation-state, asserting:

“The legislative systems of the modern nation-state are characterized by complete independence from ideology of any kind. If the secular state aims to separate the political structure from the religious apparatus, then the modern nation-state is an independent state that relies on no source of legislation outside the popular will. As a neutral entity regarding religions, sects, ideologies, individuals and classes, this state seeks to avoid adopting any ideology that might affect its entity and existence, making it an exclusive state that serves one specific group to the detriment of another. This "exclusive service" that the state will seek to provide is based on principles that conflict with the principles of equality of citizenship and is carried out on the basis of a specific religious, ideological or doctrinal reference”.

 In reality, the modern nation-state rests on three fundamental principles: the first is the equality of citizens, the second is the rule of law, and the third is the legitimacy of the people.

This is not the place to talk about the birth and construction of the "modern nation-state", to which we have dedicated a book and several articles [2], but it is necessary to constantly remind ourselves that this birth is the fruit of a long historical process which enabled Europe, for example, to emerge from its sectarian and religious wars, which cost Germany alone, during the Thirty Years' War (1618-1648), the lives of more than seven million inhabitants. In the Eastern Mediterranean, the Ottoman Empire went out of history and geography only after writing its last pages with the genocide of the Armenians and Assyro-Chaldeans in 1916-1918, and the defeat in the First World War and the signing by Sultan Mehmet VI of the Treaty of Sevres (1920), which left the Caliphate, at the end of its existence, 380,000 km² of its pre-war 1,780,000 km².

In Egypt, the revolution of 1919 marked an important turning point in the struggle for national liberation from the British colonial yoke, victorious in the Second World War. In Damascus, the independence of the Syrian Arab Kingdom was proclaimed on March 8, 1920 by a constituent legislative assembly known as the "General Syrian Conference", which adopted the "Fundamental Statute" that provided for a civil constitutional monarchy, decentralized administration, guaranteed political and economic freedoms, the rights of religious communities, equality between citizens and the holding of free elections to the Council of Representatives by secret ballot in two rounds (article 73). Elections were free and the government had no right to intervene or oppose them (article 77).

The French colonial power could not tolerate the idea of independence, and its forces entered Syria. Three days after the Battle of Maysaloun, the occupying forces occupied Damascus, exiled King Faisal and desolated the kingdom on July 28, 2020.

Emad Hajjaj


After the tragic and grotesque fall of the Ottoman caliphate, no one could speak of a caliphate or an Islamic state according to hereditary, medieval sultanic logic. In several Muslim countries, political and social organizations emerged, calling for the construction of an Islamic state. If Hassan al-Banna is the most famous in the Arabic-speaking world, Abu al-Ala al-Mawdudi occupied center stage in the Islamic world. Abu al-Alaa was a keen observer and connoisseur of the characteristics of the times in which Muslims lived in the Indian peninsula, but also of the rise of totalitarian ideological currents on a global scale - Stalinism in the East, Nazism and Fascism in the West. The imprint of these currents can be clearly seen in al-Mawdudi's definition of the Islamic State:

- "The Islamic state is a state run by a particular party that believes in a particular doctrine. Anyone who accepts Islam can become a member of the party that has been founded to run this state, and those who do not accept it are not allowed to intervene in state affairs and can live within the state's borders as dhimmis."

- "The Islamic State is a totalitarian state that governs all aspects of life." (Al-Mawdudi writes this in English, in addition to Urdu and Arabic).

- God has endowed man with these limits, an independent system and a universal constitution that admits of no change or modification.... If you wish, you can evade it and declare war, as Turkey and Iran have done, but you cannot make the slightest alteration to it, for it is an eternal divine constitution that cannot be changed or modified."[3]

We see in these three points the common family tree of the Muslim Brotherhood, the Khomeinists, the jihadi Salafists, the Srourists (followers of Sheikh Srour from the Daraa region) and the Hizb ut-Tahrir (Liberation Party), for the principles set out by Mawdudi are all to be found there, with a few differences in literary expression or a few uncontested phrases. If the first version of the Muslim Brotherhood in Egypt and the Syrian model of Dr. Mustafa al-Sibai did not adhere to the logic of the "sacred party", or what Khomeini calls in his book "Islamic Government": "the sacred band", we had to wait for Sayyid Qutb to see a clearer identification between these components.

The rise of "public religion" and the fall of contemporary ideologies have had a considerable impact on the rise, extremism and radicalization of Islamic political movements. The fabrication of the enemy has played a key role in the introduction of takfir (defining the boundaries between believer and disbeliever, between pagan and Islamic society), prohibition (lumping together everything that is forbidden, prohibited and reprehensible) and destruction (considering jihad or sacred violence as the only way to establish God's reign on earth). As Yassin al-Haj Saleh puts it: "In Afghanistan, the enemy was the Soviet Union, then the USA; in Iraq, it was the Americans and their allies in the Shiite organizations; in Syria, the enemy was essentially the revolution"[4].

At Cairo Stadium on June 15, 2013, Egyptian President Mohamed Morsi was present in person to announce the results of the first enlarged meeting between Salafist "scholars", Muslim Brotherhood "scholars" and leaders of the World Union of Muslim Ulemas, at which it was unanimously decided to declare jihad in Syria. To announce the results of this meeting and proclaim its decision, the participants appointed the Egyptian Sheikh Mohamed Hassan:

"The pure land of Egypt hosted a conference attended by nearly 500 scholars, belonging to more than 70 bodies, organizations and associations. These scholars issued a fatwa and agreed that jihad is a duty of life, wealth and arms, each according to his means. The jihad to defend blood and honor is now an individual duty for the Syrian people and a collective duty for Muslims the world over. This is what we owe to the Lord of heaven and earth" [5].

Since then, the differences between so-called moderate or political Islam and Salafist jihadist theses have disappeared, and "legitimizing" the presence of foreign fighters in Syria was processed through the greatest collective fatwa in contemporary Islamic history. Syrian Muslims, whatever their factions and orientations, are no longer masters of their present and future in the conflict between a corrupt dictatorship and the largest popular movement facing it. The massive arrival of over 120,000 non-Syrian fighters from some sixty countries, with financial, material and logistical facilities that have surpassed anything we have seen in the Afghan experience, has constituted a complete change in the nature, geography and objectives of armed conflict and infighting, as well as in the nature of the state desired for change.

Al-Baghdadi proclaimed the caliphate, seen as the longed-for righteous Islamic State, and conflict within jihadist formations intensified, leading to bloody clashes that are rarely echoed by supporters of the "Islamic Liberation Commission in Syria" (Hayat Tahrir al-Sham). If the great split between the Islamic State in Iraq and the al-Nosra Front has had its share of attention and study, the "Sahwa" has been one of the boldest and most cultured movements among Syrian jihadists, when Hassan Abboud, leader of the Ahrar al-Sham movement, aided by the young Mohammed al-Shami, drafted "The Revolutionary Charter of Honor", one of the most important revisions in the history of "Salafist jihadism" in Syria. This charter clarified the boundaries between the general theses of the Salafist jihadist movement and the Syrian jihadist project for change on essential points, which go beyond the struggle for power and authority to touch on the very conception of the desired state:

"- The political aim of the armed Syrian revolution is to overthrow the regime with all its symbols and pillars and bring it to justice, far from any revenge or settling of scores.

- The revolution militarily targets the Syrian regime, which has exercised terrorism against our people with its regular and irregular military forces and those who support them, such as Iranian mercenaries, Hezbollah and the Abu al-Fadl al-Abbas Brigade, as well as all those who aggress and apostatize our people, such as Daesh. Military action is limited to Syrian territory.

- The overthrow of the regime is a joint undertaking of the various revolutionary forces. Aware of the regional and international dimension of the Syrian crisis, we are open to meeting and cooperating with regional and international actors in solidarity with the Syrian people, in the interests of the revolution.

- Preserving the unity of Syrian territory and preventing any plans for partition by all available means is a non-negotiable revolutionary principle.

- Our revolutionary force relies in its military action on the Syrian element and is convinced of the need for a purely Syrian political and military decision, rejecting any dependence on foreigners.

- The Syrian people aspire to the establishment of a state of justice, law and freedoms, free from pressure and diktats.

- The Syrian revolution is a moral and ethical revolution that aims to establish freedom, justice and security for Syrian society in all its ethnic and religious diversity.

- The Syrian revolution is committed to respecting the human rights preached by our religion."[6]

Clearly, the Syrian "Islamic Front" decided that day to break with what it called the "global jihad" or what the al-Nosra Front called the "Sunni jihad". [7] in Syria. Not surprisingly, forty-five members of its leadership were mass-murdered in the largest attack in fourteen years of revolution and war on Syrian territory, and evidence revealed years later the involvement of the "al-Nosra Front" in collaboration with the Turkish secret service (MIT) in the massacre.

I always dwell on this important document, because it shows and explains the difference between the al-Nosra Front and its offshoots, from the Levant Conquest Front to Hayat Tahrir al-Sham, and the jihadist factions that have adopted the state of justice, law and freedoms in this pact.

Another major bone of contention between the al-Nosra Front and other Syrian organizations was the adoption by the al-Nosra Front and Daesh of an approach aimed at integrating foreign fighters into organizational structures and positions of responsibility. As the al-Nosra Front was made up of Syrians and foreigners, then joined by some inmates of Sednaya prison, its command and religious leaders remained in the hands of non-Syrians, with a few Syrians. In the early years of its existence, Syrians accounted for over 70% of its membership and held most of the decision-making positions. This became clear when Hassan Abboud declared on Al-Jazeera that he feared the harmful role of foreign jihadists: "We don't need non-Syrian elements, we have enough Syrian fighters, especially as many immigrants have fallen victim to misinformation and their initial support has turned into a curse". He made it a condition of any dialogue with al-Nosra that it disassociate itself from al-Qaeda, stressing that "the decision must be purely Syrian".

The al-Nosra Front responded: "We at the al-Nosra Front categorically and unambiguously reject any minimization or concealment of the role of the immigrant brothers in this blessed jihad. They have played an immense and important role in supporting the people of Syria, in accordance with God's word: {And if they ask you for help in religion, you must help them} We will respond to them only with benevolence and gratitude, for our Lord, the Merciful, has said: {Is good repaid with anything other than good?} We are united with Muslims by religious brotherhood that transcends any territorial or national ties, and our support for Muslims is based on religion and loyalty to it, not on homeland, land and loyalty to it, for Allah, the Almighty, has said: {And why should you not fight in the way of Allah, while men, women, children and infants are oppressed?} And the Prophet (peace and blessings of Allah be upon him) said: "The Muslim is the brother of the Muslim, he neither deceives nor betrays him". Let everyone know that the Islamic state we want is a state founded above all on religion, faith and Sharia law, and it is to this that we owe our loyalty and allegiance. For us, a Muslim is not the equal of a disbeliever, as Allah has said: {Will we treat Muslims like criminals?} And the Prophet (pbuh) said: "The strongest bond of faith is to love for Allah and hate for Allah." What harms our migrant brothers harms us, what affects them affects us, and whoever criticizes them criticizes us. O migrants, this land of Syria is vast, settle in it, and Syria's doors will remain wide open to all those who want to support her and do good for her and her people".

The al-Nosra Front has gone from strength to strength, constantly relying on a high percentage of foreign fighters. The words "Syrian" and "Syria" are absent from its publications and leaflets. In its textbooks, schools and the positions of its religious leaders, it has drawn on the most extreme and radical jihadist writings and positions on the Syrian national question. Even in his experience in power in Idlib, clerics and security officials were the real decision-makers in the government, army, security services, religious police and intervention in people's daily lives. When we look at the speeches and writings of the Syrian figures of Hayat Tahrir al-Sham, we see that they only repeat and reiterate what was said in Abu Musab al-Suri's (Mustafa Set Mariam Nassar) "Call to Global Islamic Resistance", "Issues of jurisprudence relating to jihad " by Abu Abdallah al-Muhajir (Abu Rahman al-Ali), " Managing barbarism" by Abu Bakr Naji (Mohammed Khalil al-Hakim) and " Jihad and ijtihad " by Abu Qatada al-Filistini. We understand why Hassan Abboud describes them as follows: "Young people with futile dreams, with no knowledge of religion or the Sharia".